ÉCRIRE, ÊTRE ÉCRIVAIN

Écrire ? Être écrivain ? Les sens de ces deux interrogations

Portrait de Laurence Biava

Mallarmé : « Sait-on ce que c’est qu’écrire ? »

Il répondait : « Une ancienne et très vague mais jalouse pratique dont gît le sens au mystère du cœur. »

Balzac qui prend la parole :

« L’on ne sait pas quel phénomène est un écrivain. Les écrivains seuls savent de combien de qualités ils sont composés : bonheur, talent, énergie, persistance, santé, seconde vue, que sais-je ? »

« D’où ça nous vient d’écrire ? » dit Michel Butor

Oui, d’où vient cette nécessité qui s’apparente souvent à un désir urgent de ne plus taire, d’où vient cette force vive qui désigne les mots, les gestes, et les regards à transmettre, d’où vient l’originalité du texte produit ? De l’enfance, peut-être ? De l’expérience de l’enfance et de l’expérience de l’adulte mêlées, de ces expériences enfouies, tues, de ces songes souterrains et couvés qui jaillissent à un moment donné, ou cela vient-il de la nuit, de ce qui germe et suffoque au moment du crépuscule, de ce silence qui se fait en soi comme un temps nécessaire à la maturation du matériau littéraire ? Est-ce cela que l’on savoure, avant de déposer intrépide ou timoré, sans ne jamais se sentir en paix, la chose écrite sur la feuille blanche ? D’où vient l’énergie d’écrire qui vous intime cette volonté de transcrire, de retranscrire, de partager, de raconter des histoires, d’apparaître pour ne plus apparaître ? Est-ce un désir de la transformation de la misère en espérance, de la transformation de notre part intime à ce qui, à force d’avoir été ressassé puis digéré, va sortir de l’anonymat, être livré en pâture, s’exposer au jugement universel ?. Cette énergie d’écrire, me vient de l’angoisse de la mort, de la souffrance intérieure. Je suis d’accord avec Anne Sylvestre : « Ecrire pour ne pas mourir ». J’écris pour dire que j’ai été blessée, que j’ai été sauvée, j’écris pour ne pas sombrer.

Portrait de Laurence Biava

Écrire : pourquoi et comment c’est possible ?

On écrit pour tenir et pour réparer. J’écris pour mettre de la littérature partout où c’est possible. J’écris pour fuir les implacables propagandes. Pour affirmer et parler sans frémir. J’écris pour vivre intensément ma vie. J’écris pour construire et travailler une langue vivante qui ne laisse plus de place à la répétition et qui se libère des formes orthodoxes. J’écris pour comprendre les concepts contemporains. Pour assimiler les questionnements, y répondre. J’écris pour aimer la réalité présente et la retranscrire. J’écris pour aller loin voir du côté de ceux qui disparaissent. J’écris pour suivre et poursuivre ceux qui tournent le dos au monde, qui vont vivre dans la forêt, qui s’y retirent pour y vieillir. J’écris pour explorer ce que signifie vieillir. J’écris pour comprendre ce que signifie apprivoiser la mort. Ecrire est un prolongement qui dispense de trop penser à la mort. J’écris pour faire vivre des personnages qui vivent leur vieillesse comme un rare privilège. Ecrire, sur quoi, pourquoi, comment ? J’écris à force d’observer longuement mes contemporains se débattre avec les bruits et les mouvements du monde, j’écris pour écouter des tranches de vie dans lesquelles je vais discerner le vrai du faux. J’écris pour faire l’amour. Avec des textes et des gestes. J’écris pour respirer et pour alterner réflexions et respirations des voix, des corps. J’écris pour me remémorer. J’écris pour ne pas brader le souvenir. J’écris parce que je cherche. J’écris pour rechercher la vie « véridique ». Pour ne jamais oublier que mourir de rire, c’est aussi se tordre de douleur. L’écriture, ça fait mal des fois.

J’écris toujours en lisant en alternance. Et plus je lis, mieux j’écris.  Envie d’épiphanies, envie de couler dans les profondeurs des livres de cette rentrée, envie d’extraire le meilleur des plumes douloureuses, envie de lignes téméraires et affranchies qui me happent et m’arriment à elles, envie de comprendre ce qui anéantit la tendresse et l’inexacte douceur des sentiments, envie de savoir ce qui se meut, ce qui pivote, s’obscurcit et se fissure, envie de gravités sourdes, de pagailles joyeuses, de tumultes insatiables comme ceux des océans, envie d’exaltations brûlantes, envie de caresser des rêves, mêmes friables, envie d’épaisseur, d’intensité, d’allégresse, de beauté. Envie de vivre, pour mieux écrire.

Ecrire est être définitivement libre. C’est produire cet acte essentiel, résistant, peut-être révolutionnaire, qui est le point ultime du désir de liberté. L’écriture est cet acte qui accompagne, qui parfait, qui éduque, qui signe, qui occupe et qui dit. « Je n’écris pour personne » dit Townes Van Zandt. C’est cela même. J’écris du plus profond de mon âme, et sans penser un seul instant écrire pour moi-même ou pour quelqu’un. C’est l’acte le plus solitaire et le plus transgressif que je connaisse. J’écris depuis toujours, mes premiers journaux n’ont jamais été divulgués et jamais je ne pensais être publiée un jour.

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